Mes réponses au questionnaire.


 

1.1 Que pouvez-vous dire de votre gestion du temps ?

L’alternance comme principe fondamental.

 

J’alterne des temps d’expression hors regroupement où l’élève est à une place, dans son territoire, avec des temps d’expression en regroupement où l’élève est assis avec son groupe devant le tableau. Chaque groupe a son territoire : 2 sur les bancs, 1 sur les tables, 2 sur le sol. Chaque jour une rotation a lieu.

 

 

1.2 Pourquoi ?

L’alternance au cœur de la question de l’attention.

 

Le regroupement m’aide à optimiser les interventions, il facilite la recherche commune de sens sur les objets de savoir. Ceci est fondé sur un parti pris, à savoir que lorsque la construction de connaissances est partagée, qu’elle est une aventure collective alors l’élève apprend mieux.

Mais toute situation, pour rester efficace, ne doit pas s’éterniser au risque de lasser. Ici comme partout, s’applique le principe de l’alternance, il faut varier les situations, un travail en regroupement appelle un travail hors regroupement. Pour résumer, disons qu’un travail en regroupement n’a de sens, ou en aura davantage, s’il est précédé d’un travail hors regroupement et inversement. Cette question de l’alternance est à relier en fait au problème de l’attention, à la question de la recherche de l’écoute et de l’implication de l’élève dans le travail, le tout dans la durée. La variation des situations agit sur l’attention et l’implication de l’élève dans l’activité. Dans notre cas du travail en regroupement, la plus grande variation possible que l’on puisse donner à la situation consiste à aller vers son contraire, comme deux corps qui en physique à la fois s’attirent et s’opposent, et donc à travailler hors regroupement. J’ai envie d’employer aussi le terme de dialectique, de mouvement dialectique. À tout moment dans l’alternance il y aura une sorte de moment dialectique fort, une dominante qui oppose au regroupement le non-regroupement, à l’oral l’écrit, à l’échange maître-élèves l’échange élève-élève, à l’exercice de recherche en groupe l’exercice à faire seul, à une phase de tâtonnement une phase d’application.

Tout cela relève de principes mécaniques, conceptuellement faciles à mettre en œuvre mais qui, sur le plan organisationnel, impliquent une conception poussée de la journée scolaire. On peut dire de ces principes qu’ils agissent sur des mobiles externes à l’activité de construction de connaissances. Les mobiles intrinsèques à l’activité sont eux d’ordre didactiques.

 

 

2.1 Décrivez votre organisation matérielle et relationnelle.

Les groupes de choix comme composante relationnelle et matérielle

 

La classe est organisée en groupes de choix, les élèves se sont placés par affinité. Il est important par la suite de donner une identité au groupe, de le personnaliser, de lui donner de l’autonomie, dans l’objectif de rassurer l’élève, de faire en sorte qu’il se sente en sécurité d’où le rôle :

·        des chefs de groupe et du planning qui organise le roulement ;

·        des casiers réservés au coin bibliothèque ;

·        des petits paniers de matériel de dépannage.

 

 

2.2 Que recherchez-vous par ce dispositif ?

Le sentiment de réussite passe par le sentiment de sécurité qu’apporte autrui, mon semblable.

 

Apprendre nécessite des échanges maître-élève(s) et entre élèves, plus la parole circule plus l’élève est en situation d’apprendre. Les groupes de choix en tant qu’organisation relationnelle et matérielle influent sur la quantité et la qualité des échanges tout simplement parce qu’entouré de ses pairs l’élève est à l’aise et se sent protégé. Que par ailleurs on l’a laissé choisir, ce qui pêle-mêle met en confiance, donne de l’autonomie voire du pouvoir. Tout ceci travaille le sentiment de réussite avant même que l’activité n’est commencée.

La fondation ou la refondation des groupes s’effectue à ma demande ou à celle des élèves et est l’objet d’une seule règle : aucun élève ne doit se retrouver seul, « abandonné » des autres. De là, nous percevons immédiatement les tensions interindividuelles et les blocages sont nombreux. Lorsque les groupes ne peuvent pas se constituer, l’enseignant renvoie au lendemain la refondation, ce qui exaspère les élèves car leur désir de changement est très puissant. Ainsi, les élèves sont renvoyés à leurs propres difficultés à vivre ensemble. Quelle surprise alors de constater, d’une situation très tendue, les progrès que font les élèves par rebonds successifs. Ainsi, parfois dès lendemain, les groupes se constituent dans le respect de chacun. Ce qui signifie, qu’entre temps, s’est opéré un véritable travail sur soi qui témoigne d’une énorme capacité des élèves à s’élever moralement, à rechercher un bien être personnel à travers celui des autres.

 

 

3.1 Comment enchaînez-vous les activités ?

La mise en appétit par l’effet d’annonce.

 

J’évite de donner à faire un travail que l’on vient juste de découvrir (formulation d’hypothèses sur les tâches à accomplir et sur la ou les procédures possibles) surtout lorsque celui-ci est nouveau ou disons que je ressens comme assez complexe. Donc il y a toujours du temps entre le moment où nous découvrons le travail à faire et le moment où l’élève est en situation de le faire ; ce temps laissé entre ces 2 phases de l’activité (celle où l’élève s’approprie le travail à faire et celle où il le fait) varie entre 10 minutes et plusieurs heures voire jusqu’au lendemain.

 

 

3.2 Pourquoi agissez-vous ainsi ?

Permettre la conscientisation de la tâche pour développer la réussite scolaire.

 

En procédant ainsi je constate d’une part une bien plus grande mobilisation dans les premiers moments de l’activité, dans la mise en route. L’entrée dans l’activité est meilleure, les mobiles pour agir semblent avoir été renforcés.

Je constate d’autre part une plus grande réussite dans le travail.

Globalement, ce temps laissé entre la phase de découverte ou phase d’appropriation et la phase de travail à proprement parlé, semble permettre la maturation des informations et des procédures de réalisation. Pour plus de précisions, je vous invite à lire le Conseil 19 à la page « Le stage en responsabilité M2 et PES/Conseils qui reviennent lors de mes visites » ainsi que dans mon texte Mais où se niche la différenciation pédagogique ? la partie 1. La dissociation systématique des phases de présentation et de réalisation.

 

 

4. En ce qui concerne l’enseignement de la lecture, comment commence la journée ?

La journée commence par la mise à jour du Calendrier des messages, du tableau des chefs des groupes. Cette mise à jour est faite par des élèves dont c’est le métier pour une période de 6 semaines. Nous faisons un travail de lecture de la date, d’un ou de plusieurs messages, également de ce que 2010 personnifiée en une grande dame de 2010 ans a à nous raconter.

« À lire et donc pour apprendre à lire nous avons… » C’est ainsi que je lance la découverte des nouveaux supports dont nous allons discuter pour en comprendre les desseins.

 

 

5. Expliquez-nous le Calendrier des messages.

L’écrit sert la représentation du temps et inversement.

 

Dans ce calendrier, la trace écrite fonctionne comme une mémoire, la mémoire de ce qui est significatif pour nous dans nos activités et de ce qui est commun à nos vies, événements de la vie sociale, événements de la vie privée.

L'écrit qu'arbore le calendrier sert ce qui touche notre vie affective et émotionnelle, pour cette raison son utilité est vite transparente à la conscience de chacun.

 

L'écrit, contrairement à l'oral, reste. Ainsi, il permet une communication qui est toujours différée. Qu'on se l'adresse ou qu'on l'adresse à autrui, l'écrit est fait pour se regarder dans le temps. Je pense que notre rapport à l'écrit est entre autres un rapport au temps. Or, si l'écrit travaille notre relation au temps, nous pouvons penser qu’inversement une plus grande maîtrise du temps travaille des compétences qui sont requises à l'activité de compréhension de la langue écrite. C’est sur cette double caractéristique que j’ai créé le Calendrier des messages.

 

Du cycle 1 au cycle 2 ou la substitution progressive des pictogrammes par l’écrit.

La genèse et l’évolution de ce calendrier sont liées à mon expérience professionnelle qui a consisté à suivre les élèves de la Grande Section au CP. Mais il devrait parfaitement convenir aux Petites et Moyennes Sections où les pictogrammes se substituent à l’écrit.

 

Progressivement, et fidèlement à l'histoire des hommes, les pictogrammes s’effacent et l'écrit l'emporte parce que plus précis. C'est cette histoire, longue, plusieurs siècles, celle de l'invention de l'écriture que nos élèves de 6 ans/7 ans doivent recréer en 2, 3 ans selon les textes officiels. C'est cette performance que le Calendrier des messages veut faciliter.

 

 

6. Et ensuite quelles sont les activités ?

 

Les élèves doivent lire. Écrire aussi, mais écrire (écrire dans le sens produire de l’écrit) c’est toujours lire mais avec une « gymnastique » différente donc intéressante. D’abord parce que l’élève est à ce moment là dans une logique d’expression, il crée et ensuite parce qu’il est presque toujours dans une approche segmental de l’écrit, je veux dire une approche lettre par lettre. J’essaye de faire en sorte qu’ils développent une démarche du type « J’entends ça au début de cette syllabe et pour faire ça je vois telle lettre ou tel groupement de lettres dans le cas de ce que nous appelons des « mariages » (un mariage est un son avec plusieurs lettres pour le faire). Il est donc capital que les élèves alternent une lecture en réception à partir des textes que j’apporte et une lecture en production à partir des textes qu’ils écrivent.

 

Je pense que doivent coexister 2 approches. L’une qui vise à développer le désir d’apprendre, qui agit sur les mobiles qui doivent être intrinsèques à l’activité (J’apprends à lire pour moi, parce que je veux savoir lire moi aussi, je vais être comme papa ou maman ou… le maître et vivre ce qu’ils vivent à travers la lecture, lire c’est grandir). L’autre approche interroge la langue en tant que langue dont on doit comprendre les principes de fonctionnement afin de répondre à l’envie de savoir lire.

Autant le dire tout de suite, ces 2 approches doivent absolument trouver un prolongement après la classe à la maison dans l’environnement familial, prise en charge par un pair plus savant et lecteur qui saura encourager et entraîner l’élève. Cette dimension du métier qui consiste à aller aux parents et à en faire des partenaires est incontournable. Seuls, particulièrement au CP, nous ne pouvons pas grand chose, sachant que par ailleurs, le premier modèle de l’enfant est la maman pour une fille, le papa pour un garçon. Nous fonctionnons aussi comme modèle, mais comme modèle second qui en aucun cas ne peut se substituer au modèle de type parental, étant entendu qu’un grand frère et plus fréquemment une grande sœur ou une tante voire un voisin peuvent être assimilés à l’environnement parental et faire office.

 

Les activités qui agissent sur le désir d’apprendre sont de type culturel. Il s’agit de montrer que l’écrit sert, que l’homme l’a inventé pour s’aider à vivre. Pour ma part, je dirais que nous écrivons ou que nous lisons pour 2 raisons : le plaisir (d’aller à soi et aux autres) et l’utile (l’écrit pour faire, l’écrit dont la fonction est d’organiser le quotidien). De l’émotion au pragmatisme, d’un bout à l’autre, on peut dire de l’écrit qu’il couvre l’ensemble de notre vie. Ce n’est pas pour rien que l’homme a inventé l’écriture et qu’il lui a fallu tant de temps : l’écrit est l’outil par excellence de son émancipation.

 

Je travaille le désir d’apprendre en leur lisant des livres, en montrant l’intérêt qu’ils ont pour moi, ce qu’ils ont d’étonnant ou de pratique. J’essaye d’agir en passeur culturel, je déverrouille voire j’entrebâille la porte, à l’élève ensuite de s’y aventurer. À ce niveau, j’établis une distinction entre écrit fictionnel et écrit documentaire. Dans le cas d’une fiction où le sens n’est jamais fermé à une interprétation unique, je peux faire part de mes impressions pour montrer l’impact que les mots peuvent avoir sur moi mais je cherche surtout à montrer que chacun peut ressentir et comprendre à sa façon l’écrit raconté ou lu. Lire, c’est se reconnaître une place au carrefour du texte et de son auteur, c’est sentir que le texte et son auteur vous parlent. Ainsi chacun reçoit et vit l’écrit à sa manière. C’est parce qu’il y a plusieurs lectures possibles d’une œuvre littéraire ou de l’un de ses passages que chacun y a une place pour échanger. J’essaie de faire en sorte que l’élève en prenne conscience afin de l’aider à intégrer l’univers des lecteurs, à rendre possible l’intimité que représente toute vraie relation avec le livre et son auteur.

Dans le cas d’un œuvre documentaire, l’auteur veut dire ce qu’il voit et entend du monde qu’il observe, le sens de son écrit ouvre moins à la diversité des interprétations, la construction du sens du texte sera plus consensuelle. Ce type d’activité est à mener au moins une fois dans la journée.

 

Les activités qui développent l’autonomie du lecteur doivent permettre à l’élève de lire un mot qui lui échappe lors d’un premier contact. Il doit donc construire les compétences qui lui permettent de former l’image phonétique du mot, il doit donc être capable d’associer une perception visuelle (lettre ou groupement de lettres, des digrammes) à une perception auditive : je vois ça, j’entends ça. Lorsque l’élève a construit l’image acoustique du mot, il lui donnera sens en la reliant à l’image mentale qu’il a de cette suite de sons. Ce travail de relation graphophonétique est mis à contribution aussi, comme je l’ai formulé plus haut, lorsque l’élève est amener à écrire en situation de production écrite avec une logique inverse, c’est-à-dire qu’il part de ce qu’il entend et va chercher dans ses connaissances ce qu’il voit lorsqu’il entend cela : j’entends ça, je vois ça. Il s’agit bien du même travail d’analyse des relations phonie/graphie mais avec une différence de taille. En situation de production écrite, l’élève écrit « son » mot, il sait de quoi il parle, alors qu’en situation de lecture, si l’élève ne possède pas dans son dictionnaire mental de correspondance à la suite de sons qu’il a formée, il se trouvera en situation de blocage. Situation, oh combien embarrassante, vous en conviendrez, et qui renvoie à la nécessité de faire quelque chose en amont du CP afin de développer le bagage linguistique de l’élève. Il est facile de convenir que l’école (maternelle donc) doit pouvoir résoudre le problème. Il s’agit là d’une totale utopie. Dans les faits, elle apporte probablement un petit quelque chose, mais ces connaissances narratives s’acquièrent dans l’environnement familial et nulle part ailleurs.

 

Reste que c’est lorsque l’on cherche à vérifier la compréhension de termes qui nous paraissent importants pour construire une compréhension du texte que l’on mesure la pauvreté langagière des élèves, la faiblesse du vocabulaire maîtrisé. Les savoirs langagiers élémentaires attendus à ce niveau de la vie de l’enfant et donc à ce niveau de sa scolarité sont pauvres, déficitaires. Ce déficit de connaissances narratives est le vrai problème que nous rencontrons au CP, il est la cause première de nos difficultés à amener les élèves à l’écrit.

 

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